
Une crise est une invitation sacrée à franchir un seuil.
Elle exige à la fois un abandon et une avancée, une séparation et une opportunité. Le mot crise vient du grec krisis et krino, qui signifient « séparation ».
Par essence, toute crise marque une rupture avec d’anciens schémas et états d’être.
Alors, posons-nous la question : de quoi sommes-nous appelés à nous détacher ? Qu’avons-nous besoin de laisser derrière nous ?
Un chemin de guérison
Cette question résonne en moi, précisément sur mon propre chemin de retour vers l’amour et le respect de moi-même.
Car ne nous y trompons pas : tout processus de guérison commence par soi.
Voilà presque un an que mon livre Écoutez-moi ! est paru aux éditions Maïa.
Depuis, cette année a été pour moi une traversée, une période de deuil.
Un deuil nécessaire, préalable à une renaissance.
« Dire la vérité est une victoire sur la mort », disait Anouk Grinberg hier soir dans La Grande Librairie, à propos de son livre Respect.
Dans l’histoire des victimes d’inceste, la partie la plus douloureuse n’est pas seulement de faire le deuil de ce qui s’est passé, mais aussi de ce qui n’a jamais eu lieu :
- La souffrance ni écoutée ni reconnue.
- Les mots jamais prononcés.
- Le soutien, l’affection et la compassion absents, car le « crime » devait rester tu.
L’inceste est un trauma à part. Tout y est inversé, distordu.
C’est la seule blessure où la victime, lorsqu’elle ose enfin parler après des années de mort psychique, est perçue comme l’agresseur.
Faire le deuil de la victime
Guérir, c’est aussi dire adieu à cette victime-là :
- Celle qui passe pour la coupable.
- Celle qui semblait inexistante.
- Celle qui masquait son mal-être derrière des sourires, pour protéger le secret et l’harmonie familiale.
- Celle qui, prisonnière du silence, portait une culpabilité immense.
Mais comme l’écrit la philosophe Manon Garcia dans On ne naît pas soumise, on le devient, nous avons le pouvoir de sortir de cette soumission.
Guérir, c’est réapprendre à dire Non. À poser des limites. À briser ces injonctions tacites qui nous ont façonnés.
Un véritable passage initiatique.
Le corps, la mémoire et l’âme
Ce travail profond ne peut s’accomplir seul. Il exige l’accompagnement d’un thérapeute formé au psychotrauma et aux violences sexuelles.
Méditer, prier, chercher des échappatoires spirituelles peut sembler tentant, mais c’est parfois une manière d’éviter l’essentiel : nos traumas sont ancrés dans le corps, et c’est en lui que se loge la mémoire du vécu.
Cependant, nous ne sommes pas que des êtres de souffrance. Nous sommes aussi des âmes, incarnées dans un corps, choisissant de traverser cette expérience, cette famille, cette époque.
La guérison passe aussi par cette reconnaissance de notre essence sacrée.
Comme l’écrit Sue Monk Kidd : Une crise est une invitation sacrée à franchir un seuil. Elle implique à la fois un abandon et une avancée, une séparation et une opportunité.
Et comment ne pas valider cette pensée ?
La vie m’a offert de nombreuses invitations à franchir des seuils.
Nous en avons tous, pour peu que nous acceptions de les voir.
Lâcher le contrôle, renaître
La dernière en date m’a conduite à lâcher prise. À abandonner le besoin de reconnaissance de mon trauma. À me rendre totalement à cette blessure d’amour encore suintante.
M’abandonner pleinement à la souffrance pour la transcender.
Ne plus espérer que les choses aient été différentes. Ne plus attendre qu’elles changent. Cet abandon total m’a ramenée à un état de pure présence, un peu comme si je revenais au point zéro de ma naissance.
Un étrange moment.
Une paix profonde s’est installée.
Une paix née de l’alignement entre mon esprit, mon corps, mon âme et mon histoire.
Peut-être est-ce de cette (re)naissance que parlait Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne, lorsqu’elle écrivait : Le miracle qui sauve le monde de sa ruine naturelle, c’est la natalité, enracinée ontologiquement dans la faculté d’agir. En d’autres termes, c’est la naissance d’hommes nouveaux, capables de commencer une action nouvelle.
Célébrons nos renaissances
De quoi Sue Monk Kidd nous invite-t-elle à nous séparer ?
Qu’avons-nous besoin de laisser derrière nous ?
Chacun trouvera sa propre réponse.
Pour ma part, ce seront « la rancœur, l’aigreur, les années sombres et les âmes grises », comme le chante Zaz dans Je pardonne (voir le lien ci-dessous).
Se déployer, avancer, aimer
Alors, avançons.
Ne prenons pas la vie trop au sérieux.
Apprenons à la savourer.
N’ayons plus peur des crises.
Accueillons-les avec gratitude et curiosité.
Et surtout, aimons-nous et respectons-nous.
Même Jésus, en disant « Aime ton prochain comme toi-même », nous rappelle que l’amour commence par soi.
Or, c’est souvent là que réside le plus grand défi.
Il n’est jamais trop tard pour devenir ces hommes nouveaux qu’évoquait Arendt.
Le monde en a besoin.
Belle renaissance à toutes et à tous, et joyeux printemps.
On avance ensemble.
Sylvie
Crédit photo : Quentin Moulédous