Lorsque je découvre le livre de Valérie Lehoux « Car toujours le silence tue » qui est sorti en mars 2023, le mien était déjà quasiment terminé et Jacques Higelin mort depuis 2018.
Bien qu’elle ait écrit ses Mémoires avec lui en 2015 « je vis pas ma vie, je la rêve », il manquait le développement d’un chapitre important de sa vie, qui n’avait été abordé que de manière fugace, en pointillés : les abus et le viol subis lorsqu’il avait une dizaine d’années.
Dans son livre Car toujours le silence tue, écrit après la mort de Jacques, Valérie Lehoux écrit : « En brisant son silence – dans ses Mémoires publiées en 2015 -, Jacques espérait que sa parole en libère d’autres, victoire ultime sur le passé. Que des victimes, ici, ailleurs, se sentent moins seules, jettent aux orties la culpabilité surgie des sillons de l’agression, qui ronge durablement. Qu’elles comprennent, encore, que l’art et le partage s’avèrent de merveilleux outils de la reconstruction. Mais l’allusion fut trop fugace. Son livre évoque l’offense mais sans s’y attarder, comme on entrouvre une porte... J’ai pensé que pour lui, il n’y aurait de meilleure façon : l’abcès serait crevé, et l’invite suffisamment claire pour qui voudrait s’y arrêter. Je me suis trompée. Au final, peu de lecteurs l’ont lu comme Jacques l’aurait souhaité. Étions-nous prêts à l’entendre ? »
Apparemment pas.
Camille Kouchner et sa Familia Grande (2021) n’était pas encore révélée.
Andréa Bescond n’avait pas encore réalisé et magistralement interprété Les Chatouilles (2018)
François Ozon n’avait pas réalisé Grâce à Dieu (2019)
Vanessa Springora n’avait pas encore parlé du Consentement (2020)
Il faut tant de temps pour éclairer, comprendre, oser partager et sortir du silence.
Dans la préface du livre, son fils Arthur H écrit :
« Les secrets qui mangent l’âme doivent être dits. Dans la lumière, ils perdent leurs pouvoirs... Jacques a dit : raconte mon histoire, je l’ai tant cachée, je n’en suis pas capable, c’est trop tard pour moi. Valérie a promis. Quelque chose de l’ordre du respect de l’intégrité de la parole, dans un monde de faux-semblants dans un océan flou où tout mensonge est possible, accepté, recevable. Ce livre est quasiment le dernier souhait conscient d’une personne qui sait qu’elle va bientôt partir. Tout doit être dit, tout doit être su, tout se saura... Merci Valérie d’avoir honoré la parole de mon père. La guérison est une longue et lente histoire, elle infuse dans ce livre. Le secret perd, la vie gagne. »
Cette préface d’Arthur H m’émeut tout particulièrement car Jacques n’était plus là pour la commenter avec lui en 2023. Il avait déjà rejoint ses étoiles.
Choisir d’écrire mon histoire, la porter à la lumière à l’aube de la cinquantaine et la partager avec mon fils de 18 ans était aussi une façon pour moi d’éclairer son propre chemin en devenir et de lui permettre de comprendre d’où il vient.
La beauté de nos êtres se trouvent derrières nos masques et nos faux-semblants, même (ou peut-être surtout) au sein de nos familles.
Lorsqu’il décide enfin d’écrire ses Mémoires en 2015 il dit « si j’avais voulu écrire un livre seul, je l’aurai fait depuis longtemps. Ce n’est pas le monologue qui m’intéresse dans un livre, c’est l’échange, le croisement des regards ».
Comme Jacques j’avais décidé de me faire accompagner dans l’écriture de mon livre et ressenti ce besoin d’échange avec un autre être humain capable non seulement de m’écouter, mais aussi de m’aider à clarifier et à structurer mon histoire.
Ecrire mon histoire à 4 mains avec ma biographe m’a rassurée.
Dans toutes les histoires d’enfants abusés, il y a ce fil conducteur qui est aussi un fil destructeur.
Un vieux fil usé qu’il s’agit de dérouler.
Avoir quelqu’un à ses côtés qui aide à dérouler le fil est rassurant, créateur, constructeur.
On n’écrit pas un récit personnel dans lequel on dévoile les abus ou les viols qu’on a subi comme on écrit un roman ou de la poésie.
Jacques a écrit des chansons qui racontent l’insouciance de l’enfance et le merveilleux de la vie une bonne partie de sa vie.
Mais sortir du silence des abus et consentir au réel c’est autre chose.
Ce n’est plus fuir ou (se) raconter de belles histoires.
Les enjeux sont différents.
On prend conscience que les monstres sont encore là, à chaque coin de page, près à nous sauter dessus et à nous effrayer.
On revit le passé au moment où on l’écrit... et on le sait inconsciemment.
C’est probablement la raison pour laquelle certaines personnes hésitent à écrire à ce niveau de profondeur et d’intimité.
Au moment où je décide de « sortir du bois » et d’écrire, je suis heureuse d’avoir la connaissance théorique de ce qu’est un psychotrauma, de connaître les enjeux de la libération de la parole sur le système familial, le couple, le regard des autres et sur soi-même.
Bien sûr la connaissance théorique n’empêche pas, par moments, au système nerveux de s’emballer. Le corps humain est une machine merveilleuse et en même temps tellement complexe.
Comprendre et être accompagné aide à faire cette grande traversée des ombres.
Alors qu’est-ce qu’écrire ?
Pour moi écrire c’est finalement dire un grand OUI à la vie, ne pas lui laisser le dernier mot.
Ecrire c’est avancer et agir avec l’intime conviction que tout événement de votre vie peut avoir un sens et un but.
Ecrire, c’est faire face à l’adversité d’une manière constructive en rassemblant toutes vos ressources pour y parvenir.
Ecrire c’est refuser de se laisser anéantir. C’est rester « droit dans ses bottes ».
Ecrire c’est accepter son passé et aller de l’avant.
Ecrire c’est aussi apprendre à remercier : l’Univers, ses proches, ses ami.e.s, toutes celles et ceux qui vous ont soutenu, aidé, aimé.
Nous ne sommes jamais seul.e.s même si nous pouvons en avoir l’impression à certains moments.
Ecrire permet de clarifier ce que signifient les mots « donner », « consoler », « être généreux et humain ».
Mon livre commence d’ailleurs par des remerciements que j’adresse à mon mari et mon fils.
Ils m’ont tant aidé, à leur manière, à aller au bout de mon projet.
Ecrire c’est (se) donner de l’amour et être utile.
Alors pour terminer cet écho inspirant, je t’adresse ce message personnel mon Cher Jacques :
« Tu peux dormir tranquille Jacques, Valérie et Arthur ont terminé le travail pour toi.
Et tant d’autres aujourd’hui prennent le relais.
T’as bien bossé Jacques.
Allez « Champagne » !
La nuit promet d'être belle
Car voici qu'au fond du ciel
Apparaît la lune rousse
Saisi d'une sainte frousse
Tout le commun des mortels
Croit voir le diable à ses trousses
Valets volages et vulgaires
Ouvrez mon sarcophage
Et vous, pages pervers
Courrez au cimetière
Prévenez de ma part
Mes amis nécrophages
Que ce soir, nous sommes attendus dans les marécages
Voici mon message
Cauchemards, fantômes et squelettes
Laissez flotter vos idées noires
Près de la marre aux oubliettes
Tenue de suaire obligatoire
On écrit ensemble ?
Pour écouter « Champagne »
https://youtu.be/Id2mEnzoOTg?si=7CnYpZdn2U5nWgRQ