Les rencontres


Dans son livre « la rencontre », le philosophe Charles Pépin écrit : Rencontrer quelqu'un, c'est être bousculé, troublé. Quelque chose se produit, que nous n'avons pas choisi, qui nous prend par surprise : c'est le choc de la rencontre. Le mot "rencontre" vient du vieux français "encontre" qui exprime "le fait de heurter quelqu'un sur son chemin".

 

Je crois, moi aussi, qu’il y a quelque chose de magique et de mystérieux dans la rencontre avec un autre. Cet autre qui n’est finalement qu’un fragment de nous-même.

 

J’en ai fait de merveilleuses, des rencontres, ces dernières semaines.

Je vous en partage deux.

 

Il y a tout d’abord la rencontre avec cette jeune femme.

Elle doit avoir un peu plus de 30 ans. Elle est avec son fils, elle porte le hijab. Son visage est lumineux, souriant, il respire la vie et l’amour pour la liberté.

Elle me sort de son sac un livre qu’elle est en train de lire et qui l’aide à « devenir elle-même » me dit-elle.

Elle m’explique qu’elle a été rejetée par sa famille car elle a décidé de divorcer il y a quelques années.

Dans ma culture et dans ma famille on ne divorce pas, me dit-elle.

Choisir sa liberté personnelle c’est prendre des risques.

J’ai pris un énorme risque pour ma liberté de femme : le risque d’être rejetée, de ne plus être aimée. C’était le prix à payer. Je l’accepte.

Nous parlons aussi de mon livre et de mon histoire.

Elle me demande si j’ai entendu parler d’Aïcha Mounir.

Je lui réponds que non.

 

Aïcha Mounir est une femme marocaine qui a écrit un livre paru en 2024 dont le titre est « le prix à payer » justement. Elle me dit à quel point ce livre l’avait inspirée pour son propre chemin de libération.

Aïcha est un petit bout de femme qui a osé dénoncer l’inceste subit par son père qui était Imam. Dans son livre elle a le courage d’abattre tous les murs autour d’elle : le poids du secret, du silence, de la religion, le poids des injonctions familiales et sociétales afin de retrouver sa puissance féminine, sa propre sagesse et sa liberté.

 

Aujourd’hui, soutenue par son mari, elle aide d’autres femmes au Maroc à retrouver leur pouvoir intérieur.

 

Un parcours inspirant, bien sûr.

 

Comme le dit Charles Pépin en introduction de cet article lors d’une vraie rencontre : « quelque chose se produit, que nous n'avons pas choisi, qui nous prend par surprise ».

 

C’est ce qui s’est passé pour moi lors de cette rencontre et de cette conversation inspirante avec cette femme trentenaire lumineuse et son jeune fils. 

 

Cette rencontre m’a d’ailleurs fait penser à ce poème de Rûmi, poète mystique persan, qui s’appelle la maison d’hôtes.

 

Ainsi l’être humain est une auberge.

Chaque matin un nouvel arrivant. 

Une joie, un découragement, une méchanceté,

Une conscience passagère se présente, 

Comme un hôte qu’on n’attendait pas. 

Accueille-les tous de bon cœur !

Même si c’est une foule de chagrins 

Qui saccage tout dans ta maison

Et la vide de ses meubles.

Traite chaque invité avec honneur.

Il fait peut-être de la place pour toi

Pour de nouveaux plaisirs.

L’idée noire, la honte, la malice,

Accueille-les à ta porte avec le sourire

Et invite-les à entrer.

Soit reconnaissant à tous ceux qui viennent

Car chacun est un guide envoyé de l’au-delà.

 

Et puis, il y a eu cette autre rencontre avec une dame et son mari.

 

Elle se déplace en fauteuil roulant. Elle souffre d’une maladie chronique depuis de nombreuses années et est en très grand surpoids. Les maladies chroniques et le surpoids sont souvent en lien avec l’inceste.

 

Je lui parle de mon livre, de la libération de la parole après plusieurs décennies.

 

Son regard s’éclaire et celui de son mari aussi.

 

« Moi aussi j’ai été incestée dans mon enfance mais personne ne veut en entendre parler dans ma famille alors je me tais et je continue à aller occasionnellement aux fêtes de famille avec la boule au ventre. Mais je ne supporte plus de devoir faire semblant et d’afficher un sourire de façade ».

 

Ses yeux se remplissent de larmes.

Je l’écoute. Je lui dis que je la comprends.

Je lui dis aussi qu’elle n’est pas seule.

La solitude et l’isolement sont des problématiques qui sont souvent évoquées par les victimes d’inceste. 

Je lui parle de l’association de Victimes d’Inceste en Alsace et des Cercles de parole qui y sont organisés.

 

Je lui partage mon propre parcours, de mon éloignement pendant 24 ans en Nouvelle Calédonie. De mon retour en Alsace, de l’écriture de mon livre et des obstacles rencontrés.

 

Son mari nous observe échanger et me dit « c’est fou, c’est la première fois que je vois ma femme parler aussi facilement de son histoire avec quelqu’un ». 

 

Il est lui aussi ému et me remercie. Ils sont mariés depuis longtemps. Le lien d’amour, de compréhension et de bienveillance l’un pour l’autre est visible. C’est touchant.

Il me confie que c’est aussi difficile pour lui d’être un aidant au quotidien, qu’il ne sait pas toujours comment l’aider, comment communiquer avec elle.

 

Je lui dis que je le comprends aussi et qu’il peut être fier d’être cet aidant qui prend soin, qui accompagne et qui aide à guérir depuis tant d’années. Je lui dis que lui aussi a le droit de souffler.

 

Quelque chose encore s’est passé lors de cette rencontre de l’ordre de la Présence authentique à soi-même, du partage de nos vulnérabilités qui loin d’être une faiblesse (comme cela est perçu parfois) renferme à mon sens, beaucoup de force et de puissance de guérison.

 

Quelque chose encore venait de se passer pour moi, pour cette femme, pour son mari et pour l’humanité.  Car je crois que chaque cœur qui guérit, qui s’ouvre et se libère de sa souffrance participe à la guérison du monde.

 

Sur la 4ème de couverture de mon livre, je l’évoque de cette façon-là :

 

« Rendre l’invisible du trauma personnel et familial visible reste difficile. La singularité de mon parcours réside dans le chemin spirituel initié parallèlement au chemin thérapeutique ; ici, le douloureux côtoie le mystérieux, l’invisible, le subtil. Je crois qu’il existe une grande sagesse à découvrir au cœur même de nos plus grandes épreuves et qu’en choisissant de guérir nos individualités, nous contribuons à la guérison du monde ».

 

Let it be.

 

C’est gravé dans mon alliance et ça peut être traduit par « Ainsi soit-il ».

 

On avance ensemble.

 

Sylvie

 

 

Photo personnelle prise sur le mur de Berlin le 26 février 2024


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